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Le Conformiste (Il Conformista)
Bernardo Bertolucci – 1970
1.
Lumière faciale, venant de la gauche de la caméra, provenant d’une source ponctuelle dessinant des ombres nettes (exemple de l’ombre de la tête de Jean-Louis Trintignant). Le projecteur est filtré en rouge, et Storaro n’utilise aucune lumière neutre, c’est l’ensemble du plan qui est ainsi coloré, il n’y a pas de référence blanche dans le cadre. Rappelons que le rouge est la couleur à laquelle l’œil humain est le moins sensible, dans lequel il perçoit le moins de détails, aussi éclairer ainsi le plan force le spectateur à un effort de concentration et est perçu généralement comme un effet agressif. Le plan est tourné en longue focale, collant le personnage au fond, enfermé contre le mur. Nous verrons par la suite que Storaro affiche une fascination grandissante pour les éclairages très colorés, qu’il va travailler sur plusieurs décennies.
2.
Plan tourné en extérieur, au petit matin. Storaro utilise ici une pellicule « tungstène », destinée à filmer des plans d’intérieurs éclairés avec des lumières artificielles (température de couleur d’environ 3200°K). Le fait d’utiliser cette pellicule en extérieur avec une lumière naturelle, sans filtre orange sur la caméra donne cette dominante bleutée très prononcée au plan, qui résulte de la différence de température de couleur. Habituellement, lorsque l’on souhaite filmer en extérieur avec une pellicule « tungstène », on ajoute ce filtre orange sur la caméra pour obtenir une image neutre, sans dominante colorée. Ou on utilise une pellicule « lumière du jour », étalonnée pour la température de couleur extérieure. Il s’agit donc ici d’un choix purement artistique. Les phares jaunes de la voiture en arrière-plan apportent d’ailleurs un contraste coloré notable au plan. Storaro place un filtre diffuseur sur l’objectif, créant un léger halo autour des sources de lumières (notamment les lampes au centre du cadre) et affaiblissant le contraste de l’image.
3.
Jeu de cadre dans le cadre, avec deux espaces éclairés indépendamment, entre arrière et avant plan. Le studio d’enregistrement est baigné d’une forte lumière de face, sans ombres et sans direction marquée, alors que le personnage en avant-plan est éclairé en douche avec un projecteur juste au-dessus de lui, et un léger débouchage en face pour donner de la matière au mur et au costume.
4.
Le plan commence derrière la cloison du studio, complètement décadré avec le personnage gauche cadre et le mur qui oblitère la moitié du cadre, créant un déséquilibre dans la composition (4-1.)
La caméra part alors en travelling latéral sur la gauche. Le personnage se retrouve droite cadre alors qu’un second personnage entre dans le champ par la gauche (4-2.)
C’est alors que Jean-Louis Trintignant en avant-plan vient masquer ce dernier, la caméra poursuivant son travelling latéral. La mise au point bascule alors immédiatement sur Trintignant, tout le fond disparaît dans le flou. La caméra passe à gauche de Trintignant, le personnage dans le fond également. Le premier personnage a totalement disparu du cadre. Trintignant est éclairé en contre-jour avec un débouchage important en face, dans l’axe caméra. Le studio est éclairé comme sur le plan 3, avec une forte lumière de face (4-3.)
La caméra s’arrête, et immédiatement l’éclairage change : la lumière englobante dans le studio s’éteint, l’intensité globale de la lumière baisse, le plan devient sombre. Un projecteur focalisé se concentre sur le personnage en fond, flou, alors que le débouchage sur Trintignant s’éteint également, ne laissant que le contre-jour, et donc la silhouette (4-4.)
Le point bascule brutalement sur le personnage de fond, qui est à présent éclairé indépendamment du décor avec un projecteur concentré de face, n’éclairant que lui. L’ambiance de la scène est à présent complètement modifiée par le changement de lumière, on assiste désormais à un vrai face à face, la construction du plan et de la lumière a resserré l’attention sur les deux personnages (4-5.)
5.
Plan large où l’éclairage à effet domine, construction typique de Storaro : l’éclairage de base de la scène consiste en une lumière latérale assez diffuse, venant de la gauche (on le voit nettement sur le visage du personnage à droite et sur celui qui s’avance vers la caméra), mais le plan et sa dynamique sont tout entier axés autour de l’entrée de lumière par les fenêtres, qui créent la profondeur et la géométrie en insistant sur les diagonales. Lumière très blanche et très vive, le contraste de l’image est important entre face sombre, et effet surexposé.
6.
Autre exemple de jeu avec la géométrie des décors et des lumières, avec ces rectangles imbriqués à droite et la diagonale de l’escalier qui déstructure le cadre, ainsi que les lignes d’ombres au sol tracées grâce à l’éclairage latéral venant de droite, très rasant et projetant les longues ombres des montants de portes. L’accent est porté sur le personnage dans l’escalier grâce à un projecteur placé en haut et faisant ressortir son visage de l’ombre.
7.
Nouvel exemple de cette construction basée sur un effet d’éclairage marquant avec cette entrée de lumière blanche filtrée par les stores, tirant des diagonales sur le mur, et totalement indépendante de l’éclairage de la scène : les personnages sont éclairés par la droite et le haut, depuis l’intérieur. Mais le spectateur est davantage attiré par les stries lumineuses au mur, qui « découpent » le personnage de Trintignant.
8.
Plan d’extérieur avec une lumière très diffuse, vraisemblablement un ciel ombragé. Aucune ombre visible, tout est éclairé uniformément. Storaro surexpose légèrement sa pellicule pour donner cet aspect très blanc, laiteux à l’image. Construction une nouvelle fois très géométrique avec les lignes qui se croisent, la perspective très prononcée, le placement des personnages éparses dans le champ, et ce mur quadrillé de rectangle en fond, bouchant les lignes de fuite.